|
La
Dépêche du Midi
« Elle est assise en ses hasards où
sa naissance
Sécrit en attente du nom. »
« En attente du nom »
Cest le titre, à première vue énigmatique, quont choisi les poètes de
Rivaginaires pour présenter, jusquau 7 avril, à la médiathèque Aragon, le
dernier volet de leur triptyque au cours duquel la poésie donne rendez-vous avec la
peinture.
Le mystère est rapidement suspendu : «
Pour nous, écrire, cest chercher son identité » confesse Jacqueline
Saint-Jean, rédactrice de la revue Rivaginaires . Car après la lecture
duvres de contemporains illustres dans le monde de la poésie, ce sont cette
fois leurs propres créations qui ont été mises en voix. Mais, alors que sinitie
le Printemps des poètes, lart que régissent les muses semblent plus que jamais
peiner à rassembler. Pourtant, les portes étaient bel et bien ouvertes à tous et la
soirée nétait nullement réservée à un public dinitiés. Alors, la poésie
serait-elle victime dun délit délitisme, devrait-elle pâtir dune
prétendue imperméabilité ? Ce qui est sûr, cest quelle mérite bien
une attention particulière. À observer ceux qui se sont laisser rcer par le flot
envoûtant de cet art antique, il est indéniable quil y a là quelque chose à
puiser ? Quoi quil en fut , Rivaginaires invitait à une idée
séduisante : chacun des auteurs avait fait le choix de lire un des textes composés
par un compagnon décriture, dans une sorte dexercice de « lectures
croisées », précise Jacqueline Saint-Jean, lauréate par ailleurs du prix Max-Pol
Fouchet. Car, ne loublions pas, la poésie ne vaut et nexiste que par la mise
en voix quon en fait. Il faut écouter les silences quelle porte aux nues, il
faut se délecter de la tessiture de voix si particulière qui habite chaque lecteur, il
faut se laisser mouvoir par le rythme élu par le poète, il faut enfin découvrir ce
respect du mot quelle impose. Cette fois-là, la poésie offerte par Rivaginaires
saccompagnait dune mise en toile orchestrée par Hélène Cohen-Solal,
empreinte dune unité de ton et de matériau avec lutilisation de papier
marouflé sur lequel apparaît, tantôt effacé, tantôt morcelé, lécrit
inspirateur. Les textes sont alors déclinés sous luvre quils ont
inspirée, dans une sorte décho et de solidarité des arts. « Je me suis
habitée de chaque texte, de leur univers particulier avec pour chacun un mot phare, motif
de départ de ma réflexion » explique lartiste. Étrange affinité des deux
arts, à travers laquelle chacun puise et senrichit dans lautre.
« Travailler à partir des textes des autres crée un espace de contrainte et évite
de répéter ses propres mots », confesse Hélène Cohen-Solal. Il y a là comme
dans une quête inaccessible
mais bien semblable.
« En attente du nom », à la
médiathèque Aragon, jusquau 7 avril.
Dimitri Germain

|
|
Interventions à Haute Voix, N°30
Juin 2001
Revue Rivaginaires n°25
Cette revue annuelle, installée au coeur des Pyrénées,
nous propose encore une fois un numéro d'une excellente qualité et d'une agréable
présentation. L'ensemble est consacré à l'épopée, parce que "homme d'encre,
homme de pussière, l'un et l'autre cherche à écrire son histoire" (éditorial
de Michel Lac). Michel Dugué, dans son très beau texte "Matière de
Bretagne", interroge le lieu, ses fragilités et sa mouvance, ses surgissements
d'harmonie, ses "clartés moyennes" mais aussi "notre lexique
de mots qui déchantent", Amoco-Cadiz et Erika, "les grèves dont on
dirait que la trame s'est défaite". Avec lui, nous sentons que "le
monde s'est rétréci comme un vieux chiffon au soleil". Michel Ducom nous livre
son "épopée des signes", suite de petits fragments brefs, éclats
coupants, "signes rudes sur paroi ou galet", langue à vif, "balle
de sens perdu". Jacqueline Saint-Jean, dans une fulgurante vision, parcourt sa
vie, la vie fragile et son souffle ténu, si ténu que dès sa naissance, "il ne
faut pas qu'elle s'endorme sinon elle va mourir". L'épopée prend ici la forme
d'un fleuve aux "bras multiples", avec ses îles, son estuaire "là
où gisent les croix, les ossements, les jarres". A chaque instant, il y a
l'urgence de la vie et de la mort, et l'instinct si sûr qu'"il ne faut pas
qu'(elle) s'endorme". Lionel Verdier, dans "le chant des confins",
s'interroge sur le sens possible du mot "épopée" aujourd'hui, "face
à face impossible, combat trop inégal entre le chant et un temps sans profondeur, plus
que jamais régi par l'immédiat". "L'épique, dans l'écriture, écrit-il,
c'est peut-être ce moment où (...) la lutte intérieure s'offre comme le reflet de cet
inégal combat contre le dehors, comme la conquête d'un lieu réconcilié, un paysage
rendu plus habitable dans le tragique humain". Les textes publiés ici semblent
lui donner raison. Dans ces pages, cette lutte intérieure prend vie dans le texte
enveloppant, ample et lent de Vénus Khoury-Ghata, résonne dans le "solstice de
décembre" dense et profond de Gilles Lades, se partage dans "cette
voix de silence" de Vahé Godel, se murmure avec Françoise Ille qui interroge
le temps, l'attente, la nuit et ses interstices, "la promenade ultime dans la
lumière de l'hiver". Les illustrations de Jean-Louis Fauthoux, où explose la
vie, offrent une profonde intensité.
Une belle unité pour ce numéro, qui en fait, ce qui est rare, un véritable ouvrage
collectif, et non une simple juxtaposition de textes comme on en lit hélas trop souvent.
A noter en fin de numéro les notes de lecture, sensibles et pertinentes de Jacqueline
Saint-Jean, d'Armelle Guillaume, de Marie et Michel Lac. Une revue à découvrir
absolument".
Marie-Josée
Christien

|